17 juin 2006
Ours
Je rentre donc de quelques jours de séminaire de travail au pied des Pyrénées. Il est frappant de constater combien l'ours est omniprésent dans les discussions localement. "Ours, l'escalade", "Poursuivi par un ours", "Dans les poubelles du restaurant", tels sont les titres des journaux locaux de ces derniers jours. Manifestement, les promenades des ours de plus en plus près des villages, de plus en plus bas vers la plaine, de plus en plus en contact direct avec l'homme inquiètent y compris ceux qui jusque là étaient restés neutres voire plutôt favorables à la réintroduction de l'ours.
Du côté local, il semble clair que l'avis dominant est défavorable à la politique de réintroduction de l'ours. Est-ce le bon argument ?
Je ne le crois pas : comme l'intérêt individuel ou professionnel ne fait pas l'intérêt général, l'intérêt local n'est pas forcément l'intérêt global. Il ne faudrait donc pas forcément s'arrêter au refus local.
Pourtant, il faut à l'évidence le prendre en compte. D'abord parce que la survie de l'ours passe par là : je ne parie pas cher sur la peau de l'ours dans le climat actuel ! Ensuite parce qu'il y a dans l'avis local des choses à écouter et entendre et qui sont peut-être la base d'un projet à partager.
L'ours est très symbolique : c'est un gros mammifère, sympathique pour les uns et inquiétant pour les autres, témoin du caractère "naturel" et "sauvage" d'un territoire. Il est symbolique mais il n'est que le dernier maillon d'une chaîne alimentaire. On peut se poser deux questions : les autres maillons de la chaîne alimentaire et du biotope sont-ils présents pour assurer durablement la présence de l'ours ? qu'est-ce qui est le plus important en termes de biodiversité : la présence de tous les éléments de la chaîne alimentaire ou la présence (artificielle ?) du dernier d'entre eux ?
Ce que disent les Pyrénéens c'est que la forêt a gagné largement des espaces ouverts où l'ours trouvait les buissons et les fruits dont il aime se nourrir. Ils disent que les framboisiers ont quasiment disparus là où ils abondaient autrefois. Ils disent - je ne l'ai pas vérifié- qu'en Italie des pommiers ont été plantés en altitude pour éviter que les ours ne descendent vers les villages trouver des fruits. En gros, ils suggèrent que la montagne n'est plus tout à fait à même d'accueillir ces nouveaux pensionnaires qui sont peut-être, comme dans les contes, plus gourmants et paresseux que réellement dangereux.
Ils disent aussi qu'ils ont peur. Y a-t-il vraiment un enjeu écologique majeur dans la présence de l'ours qui justifie de vivre avec cette peur ? Je n'en suis pas sûre alors même que je suis sûre que reconstituer les éléments de la chaîne alimentaire et de l'habitat de l'ours est effectivement un enjeu : derrière ces termes, ce sont potentiellement des dizaines voire des centaines d'espèces moins connues, plus discrètes, moins symboliques que l'ours que l'on peut protéger. Et cela peut peut-être faire consensus : en une formule forcément réductrice, les framboisiers, les papillons et les fleurs mais pas les ours !
Parmi les européens réunis à ce séminaire, j'ai échangé avec une suédoise sur cette question. En Suède, il y a des ours, ils font partie du paysage et ils sont acceptés même s'ils tuent parfois (rarement) des hommes. Mais aujourd'hui, ce sont les loups qui recolonisent la Suède depuis la Russie et la Finlande : ils n'ont à ce jour tué personne mais ils font peur et font l'objet d'un réel rejet. Tout n'est pas rationnel dans les rapports des hommes et de la nature !
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Commentaires
je comprends tout à fait les raisons qui poussent certains scientifiques et intellectuels parisiens(les parisiens sont tous les citoyens n'habitant pas les vallées pyrénéennes!!!) biodiversité, chaine alimentaire, folklore, rappel au nounours de sa petite enfance, image d'épinal...à soutenir la réintroduction de plantigrades qui malheureusement ne sont pas des ours bruns des pyrénnées.
je me permets de donner quelques commentaires sur un territoire largement concerné par ce phénomène que je connais un peu, l'Ariège.
1/ les habitants des vallées ariègeoises préfèreraient le même empressement de la part de l'Etat à développer le territoire, à permettre un aménagement concerté; quand dans le même temps le gouvernement de Droite de Serge Lepeltier...ferme des dizaines de classes en primaire, dans les collèges, l'ouverture des bureaux de poste est systématiquement remise en cause, l'entreprise Péchiney(production d'aluminium) ferme 2 sites rentables sans intervention du premier ministre comme il l'a fait à Mérignac, l'aménagement du tronçon autoroutier reliant Toulouse à Barcelone via le tunnel du Puymaurens est repoussé aux calendes grecques alors que le financement avait été prévu par le gouvernement Jospin!!!
2/ l'Ariège a engagé une partie de son développement sur le tourisme nature et la randonnée en moyenne montagne. Mais le sentiment de peur qui se développe(un randonneur a senti le souffle de l'ours qui le suivait..."la dépèche du midi du 12 juin) est préjudiciable au développement de cette ressource, pourquoi alors ne pas réintroduire des loups en Sologne...
3/le manque de concertation est criant, il est évident que les autochtones n'ont pas forcément raison mais ils ont aussi une idée précise du développement et de l'aménagement de leur territoire et dans leurs actions quotidiennes essayent d'y contribuer, par exemple depuis plus de 10 ans l'Ariège est un département qui gagne de la population dont la population active est aussi en hausse... il est important de tenir compte de l'avis des élus, des agriculteurs, de nos ainés qui restent dans ces pays rudes pour les faire vivre.
4/il faut prendre en compte l'état du pastolarisme qui non seulement fait un élévage de qualité des moutons, vaches et cheveaux mais aussi concourt au nettoyage de la montagne qui est rongée par la forêt.
5/pourquoi de pas réintroduire des bisons dont les fresques ornent les murs des grottes préhistoriques ariégeoises au nom de la biodiversité ou au nom de l'absurde...
l'Ours n'est qu'un élément du folklore de la société médiatisée comme le Berry l'est avec les sorcières...mais qui, si on n'y prend pas garde, finira au détour d'un chemin au bout d'un fusil...
Écrit par : philippe Fournié | 19 juin 2006
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