20 octobre 2009
Territoires
Je participais aujourd'hui, dans le cadre professionnel, à un colloque de restitution de travaux de recherche sur l'agriculture et le développement durable. Une table ronde avait été organisée pour traiter des dimensions territoriales de cette problématique.
L'agriculture se distingue de la production industrielle par son rapport à la terre. Quand j'étais jeune, aux deux facteurs de production industrielle, capital et travail, on opposait les trois facteurs de productions nécessaires à l'agriculture, la terre, le capital et le travail. La terre, donc, support physique de la production. Le terme d'espace est venu plus tard, quand cette terre a été re-située dans un contexte plus large, celui d'une exploitation agricole, ou d'un système agraire, voire d'un écosystème. Ce n'est que dans les années 90, me semble-t-il, que le terme de territoire s'est imposé, quand l'agriculture a pris conscience que, de façon probablement irréversible, elle n'était plus seule actrice dans un espace, devenu territoire partagé.
C'est l'organisation et le découpage des collectivités locales qui a longtemps structuré le rapport politique à l'espace. La commune était l'unité de base, le département a été découpé après la révolution de façon à défaire les provinces et donc de façon à défaire des appartenances. La région eszt venue plus tard. Dans les années 60, le territoire, c'était celui de la DATAR, c'était ce qui n'était pas Paris mais c'était aussi ce qui appartenait à une nation et qu'il s'agissait d'aménager pour en assurer la cohésion. L'idée qu'un territoire est un rapport entre l'homme et l'espace était donc présente mais très descendante. C'est dans les années 80, après ou au moment de la première décentralisation, que des élus locaux ont pensé qu'ils pouvaient être plus efficaces en faisant ensemble, et avec les "acteurs locaux", ce que chacun ne pouvait faire seul.
Le mouvement du développement local est né de là, dépassant les frontières administratives pour faire aboutir des projets. L'âge d'or du développement local se situe probablement autour entre les années 1995 à 2004, puis encore jusqu'en 2009 : loi Pasqua sur les pays (95), puis lois Chevènement (99) et Voynet sur les intercommunalités et les pays, institutionnalisation des conseils de développement, période de croissance faste pour les finances locales et le soutien aux projets locaux émergents. Depuis 2004, la décentralisation par Raffarin a relancé la mobilisation pour s'emparer de nouveaux champs de développement local et, même si elle portait en germe l'impasse financière dans laquelle sont aujourd'hui les collectivités, l'illusion a encore fonctionné. Le terme de territoire s'est alors imposé : je me souviens, vers 2000, alors Secrétaire Nationale du PS au dévelopement local, en avoir contesté l'usage tant il me semblait possessif et défensif, comme un animal défendrait son territoire. Mais la question était ailleurs : l'usage du mot territoire et développement territorial est venu en fait contester l'agir local à l'échelle communale ou intercommunale pour affirmer la nécessité d'un développement à différentes échelles et notamment des échelles plus vastes, région, inter-régions, inter-frontalier... Ce faisant, il a imposé aux réflexions sur le développement local les concepts et les réflexes de l'économie libérale avec le résultat que l'on sait : la transformation de la DATAR (Amélagement du Territoire) en DIACT (Compétitivité des Territoires) et les théories autour des métropoles.
Alors que, professionnellement et politiquement, j'use et j'abuse désormais de ce mot, je ne m'étais jamais donné la peine de chercher à le définir. Je reproduis les notes que j'ai prises à partir du propos de la géographe qui intervenait cet après-midi : "un territoire, c'est d'abord une organisation sociale ; c'est d'abord une action. Ce n'est pas un état mais un processus. Le territoire fait l'objet d'une intentionnalité, c'est l'action qui définit le territoire. Il s'agit donc de s'interroger sur comment aboutir à l'organisation sociale qui concevra/portera/permettra l'action ; et de considérer que cette organisation entre acteurs, est une dynamique souvent fragile."
Le colloque s'interrogeait sur de nouveaux programmes de recherche à financer et sur la place à y donner à l'approche et l'appropriation du concept de territoires.
Chers collègues, cela aurait été incontestablement très utile. Mais je crains que ce ne soit trop tard ! Car la "dynamique fragile des acteurs" est clairement la cible de la loi sur l'organisation territoriale : en supprimant (conseillers généraux) ou affaiblissant (élus municipaux) les acteurs publics locaux, c'est la notion même de territoire qu'on ébranle. C'est l'idée d'une société partagée, d'un certain niveau d'équipement et d'une histoire commune, c'est une forme de civilisation rurale que l'on met en cause.
Sauf à penser, ce qui, ici ou là est possible, que les territoires se recomposent demain sans acteurs publics. C'est un pari par lequel je crains qu'on ne retrouve énormément d'exclus. On ne peut même pas dire que ce soit le pari de la droite : car elle n'en a manifestement cure ...
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